Compte-rendu de la conférence " Faire famille au XXIème siècle"
Le 1er mars, Serge Hefez a donné une conférence pour EFA94
"Faire famille au XXIème siècle"
Serge Hefez est psychiatre, psychanalyste et thérapeute familial dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris.
Serge Hefez commence sa conférence par expliquer sa fonction de thérapeute familial et ce qu’est pour lui une famille dans ce cadre : « C’est un ensemble, une organisation dans laquelle chacun a une place, un rôle, occupe une fonction. » Lorsque des personnes viennent le consulter pour une thérapie familiale, qu’une souffrance est exprimée par un enfant dans la famille, il part du principe que cette souffrance exprime une souffrance qui est à l’intérieur de la famille, qu’elle concerne toute la famille. Il donne au symptôme une dimension relationnelle, le situe comme un signe d’appel qui s’adresse aux autres membres de la famille. De nos jours, avec les différentes configurations ou recompositions familiales, il est plus complexe de cerner ce que sont les contours d’une famille. Une personne peut ne pas avoir une place légale mais occuper une place psychique dans la famille : un grand-parent, un demi-frère, un conjoint séparé, un donneur dans une PMA, un parent de naissance dans une adoption… Serge Hefez a une vision inclusive dans la thérapie : celle de faire rentrer dans le cercle des interactions le plus possible de personnes qui ont une signification pour l’enfant, qui participent à son monde intérieur.
1) Qu’est-ce qu’une famille ?
Il y a deux façons de concevoir notre famille :
- Verticale, diachronique
Nous héritons à travers l’histoire de nos parents d’éléments conscients et inconscients qui nous façonnent tels que nous sommes aujourd’hui. L’histoire de la famille se construit à travers les générations. C’est la notion de transmission qui donne du sens à la famille. Notre esprit héberge des histoires, voire des traumatismes qui nous sont transmis à travers les générations.
- Horizontale, synchronique
Ce sont les personnes qui participent à l’organisation familiale, au lien concret des uns avec les autres, à un moment du temps. Chacun occupe une fonction différenciée et se positionne dans un rôle complémentaire qui se met en place entre les différents membres. C’est la notion de relation qui donne alors du sens à la famille.
Une famille est toujours à l’intersection de ces deux axes
2) L’évolution de la famille
On ne fait plus famille aujourd’hui comme on faisait autrefois, alors qu’est-ce qui a changé dans notre société ? Qu’est-ce qui s’est transformé dans l’organisation de la famille ?
Autrefois, dans la société traditionnelle, on reconnaissait un individu par le groupe auquel il se référait, dont il respectait les règles, les exigences, la conduite. C’était le statut du mariage indéfectible qui organisait notre société, scellait la famille, permettait la transmission des valeurs, du patrimoine. Il n’y avait pas d’autre choix que le mariage pour être reconnu dans la société. L’organisation familiale était fondée sur le patriarcat qui instituait le père de famille dans sa puissance.
En 1789 le tribunal révolutionnaire vote l’émancipation des individus, l’autorisation du divorce. Tout ceci est rapidement remis en cause en 1804 : le code Napoléon réinstaure le patriarcat. Le père dans sa puissance, sa femme et leurs enfants comme mineurs légaux. Il faudra attendre 1970 pour que la puissance paternelle laisse place à l’autorité parentale conjointe, changement considérable dans notre société. Les statuts des pères et des mères à l’intérieur de la famille sont devenus égaux. Il aura fallu un siècle de luttes des femmes pour aboutir à leur émancipation.
La transformation du mariage traditionnel sera la conséquence logique de ce changement de société et de la famille. Avant le rôle du père était différent de celui de la mère : le père incarnait l’autorité, avait le devoir de protéger sa famille. La mère s’occupait de la maison, des enfants. C’était une complémentarité qui allait de soi. Maintenant, l’égalité a remodelé l’architecture des familles. Plus rien ne va de soi, chaque famille peut fonctionner différemment, ses membres inventent la famille qu’ils souhaitent. Plus personne n’est obligé de rester ensemble. La coparentalité et la pluri parentalité remplacent la famille d’autrefois et la définissent aujourd’hui.
Notre société reconnait maintenant que deux hommes ou deux femmes peuvent fonder une famille, établir une filiation, exercer des fonctions parentales par rapport à un enfant. La difficulté ayant été d’avoir réussi à faire accepter que deux hommes ou deux femmes pouvaient avoir une complémentarité non fondée sur une différence des corps mais sur une différence des attitudes, des désirs de l’un et de l’autre.
Serge Hefez fait quand même remarquer que la vision patriarcale reste encore prégnante lorsqu’il s’agit de PMA ou d’adoption. Pour que le père reste unique, il a été fortement recommandé pendant de nombreuses années de ne pas révéler à son enfant qu’il était issu d’un don de gamètes ou avait d’autres parents, biologiques. Par des exemples concrets, Serge Hefez a montré comment ces histoires ont pu avoir un impact dans les familles qu’il a suivies en thérapie. Le plus souvent, les personnes ne sont pas à la recherche d’un père ou d’une mère mais souhaitent avoir accès à la personne qui leur a donné la vie. La possibilité de lever l’anonymat dans la PMA est venue bousculer cette vision patriarcale du don. Nous assistons à l’évolution d’une société du secret vers une société du don où est enfin acceptée la notion de pluri parentalité et plus seulement la notion de « un père, une mère et c’est tout »
En ce qui concerne l’adoption, Serge Hefez reconnait qu’en tant que psychiatre, il ne voit que des situations difficiles et qu’il est donc porteur d’une parole très tronquée sur le sujet. C’est surtout au moment de l’adolescence qu’on vient le consulter lorsque le jeune est pris dans un conflit de loyauté, qu’il se demande à quelle histoire il appartient, il doit se référer… quel choix il doit faire par rapport à cette question des origines. C’est une période parfois très compliquée, non seulement pour l’adolescent mais aussi pour ses parents, les personnes qu’il a «sous la main» et sur lesquelles il peut «taper». L’adolescent est pris par une force conflictuelle qu’il n’arrive pas à résoudre, qui crée une déflagration dans l’ensemble de la famille. Dans la plupart des cas, ça se termine bien. « Accrochez vous au bastingage, ça va tanguer, deux ans, trois ans ou plusieurs années, mais ça rentrera dans l’ordre progressivement ! » nous rassure Serge Hefez. Il nous donne l’exemple d’un jeune, adopté en Argentine, et qui après une enfance sans problème arrive au moment de l’adolescence et va mal. Ses parents n’arrivent plus à contenir ses débordements et entament avec lui une thérapie familiale. Pour qu’il s’apaise et accède à son statut de personne, il a fallu qu’il sorte de son conflit de loyauté, qu’il concilie ses deux histoires, ses deux appartenances. Il a souhaité pour cela donner une matérialité à sa famille biologique qu’il est allé rencontrer. Il y a été accueilli très chaleureusement, puis il est rentré en France avec la certitude de ne plus avoir besoin de les revoir. C’était pour lui un passage nécessaire afin que son histoire dans sa famille biologique ne vienne plus entrer en conflit avec son histoire adoptive. Il s’est rendu compte, même s’il avait pu la fantasmer, que ce n’était pas elle «sa» famille. Il a pu également intégrer ce qui lui avait été transmis de l’histoire de sa famille adoptive à travers les générations, mieux comprendre ce qui a pu expliquer certains comportements de ses parents à son égard et se sentir pleinement appartenir à cette famille. Et il a repris le chemin de sa vie…
Dans l’adoption, l’appartenance à une famille, c’est l’histoire qu’on se fabrique ensemble, qui se construit dans la famille et qui va « résonner juste » dans cette famille. Et ce qui fera famille, ce sera de pouvoir se raconter cette histoire-là. C’est un récit qu’on partage et qui fait qu’on est « accordés » les uns aux autres. Chacun a sa place, chacun trouve sa place dans l’organisation de la famille et dans l’histoire de la famille. Serge Hefez apprécie ces termes d’«accord» et d’ «accordage» qui sont des termes musicaux et il conclut sa conférence : « Une famille c’est comme un orchestre, les instruments sont différents, ne jouent pas la même chose mais pour pouvoir jouer ensemble, ils ont besoin d’être accordés »
Un temps d’échanges entre les participants s’en est suivi.
Serge Hefez est l’auteur, entre autres, de « La fabrique de la famille, réinventer de nouveaux liens» (LGF 2017 ou Kero 2016) Qu’est-ce qu’une famille au XXIème siècle ? Comment, quelles que soient leurs formes, conjuguer filiation et transmission ?
et « D’où je viens ? Le petit livre pour parler de toutes les familles » (Bayard Jeunesse, 2019) Un petit livre pour aborder les différences, aider les enfants à comprendre les liens familiaux dans une société plurielle ouverte...Pour que chaque enfant se sente bien dans sa famille !
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